Tout commence finalement le vendredi 11 décembre. Les affûts sur le territoire de la Brédurière sont permis depuis près d’un mois. J’entends à quelques une de nos sorties le récit de certains affûts qui auraient pu être fructueux s’il n’y avait eu pas de sonneries de portables ou d’autres artifices perturbateurs. ;-) Ce vendredi là, je ne travaille pas l’après-midi et nous nous mettons au point avec Dany pour réaliser un petit affût ce soir là. Dany veut insister sur une coulée déjà équipée d’un three-stand fixe. De mon côté, je n’ai aucune connaissance des lieux. Je m’inspire du plan réalisé par Nico et je décide d’occuper un couloir séparant les 2 principaux massifs boisés. Ce secteur n’étant pas équipé de poste, cela me donne une bonne opportunité de pratiquer l’auto-grippant.
Si vous connaissez un petit peu cet outils, vous savez qu’il présente des avantages mais il a aussi des inconvénients. Il est notamment assez long à installer et assez bruyant si l’on ne prend pas de précautions. Connaissant cette limite technique, l’idée, c’est éviter de céder à la panique et donc, de vouloir allez trop vite. Il faut exactement faire l’inverse et donc prendre son temps. Le plus important, c’est de faire une approche sur site et une installation propres, sans bruit : être aussi discret qu’un courant d’air, maîtriser ses gestes et ses pas.
Par chance, sur mon parcours, je n’ai pas été surpris par des animaux en vadrouille. Arrivé sur site, je m’installe sur l’un des arbres centré le long de cette coulée verte. La soirée se passe doucement et calmement lorsqu’en fin de sortie, un petit bruit surprend mon repos. C’est une chevrette seule qui vient du bois situé face à moi. Elle se rapproche tranquillement puis emprunte une coulée rejoignant la lisière des deux bois. A ce carrefour, la chevrette marque un temps d’arrêt. L’animal se situe en plein découvert mais il est placé à plus de 30 m de l’arbre sur lequel je suis. Le point de vue depuis cet endroit inspire la prudence puisqu’il ouvre sur une vaste prairie. 5 secondes plus tard, la chevrette prend confiance et ne voyant pas de congénère, décide de convoiter un autre lieu. Elle repart ainsi sur ma droite et me contourne à près de 25 m de distance pour arriver dans une nouvelle prairie en contre haut. Appuyé ventre contre l’arbre, je devine la chevrette derrière la végétation, elle paît tranquillement, s’éloigne progressivement jusqu’à ce que je la perde de vue.
L’obscurité étant uniforme, je rejoins le véhicule et partage cette observation avec Dany.
L’occasion se représente de faire une sortie le vendredi 8 Janvier. Nous nous retrouvons avec Dany pour faire cette excursion et nous tenons informé Eric qui, tout aussi motivé, nous rejoindra au lieu de rendez-vous.
Nous n’aurons pas à nous chamailler pour choisir notre poste. Chacun semble intéressé par des lieux différents. Mes camardes s’écartent puis s’éloignent pour retrouver leur point de vue favori. Quant à moi, pour conserver la même rigueur de discrétion, et puis c’est la fin de semaine : Je prends mon temps.

J’embarque l’auto-grimpant sur le dos, puis prend chemin. Je ne sais pas pourquoi, mais comme je le disais à Dany dans la voiture, je ne l’explique pas mais je le sens bien. En allant sur site, je mène ma réflexion. Je compte me remettre dans le même secteur que ma dernière venue mais à une position différente. Ce couloir ne me semble fréquenté que sur son travers, c'est-à-dire par des traversées de bois à bois ou de bois à prairie. C’est à mon sens plus un lieu de transit qu’un lieu où peuvent stationner les animaux. Compte tenu du cheminement de la chevrette que j’ai pu observer, le point commun avec les voies envisagées me semble être ce bois qui était face à moi et d’où provenait la chevrette. J’arrive sur les lieux, l’idée est de trouver l’emplacement à la fois idéal pour une embuscade et un arbre qui sera m’accueillir. Je m’approche de la coulée empruntée par cette chevrette et la suit en décalé en remontant dans le bois. Je ne tiens pas à rentrer davantage dans ce massif au risque de laisser une odeur et de faire du bruit. A une vingtaine de mètres, je m’écarte et me décale de façon à maintenir une visibilité sur le grand couloir. Comme un talonneur, je maintiens en visu le positionnement de cette coulée et guette la forme des arbres. Je sais que 35 à 40 m dans mon dos se situe une autre coulée. Je me dis que l’idéal serait de trouver un poste au centre de ce triangle isocèle. Je me trouve alors sur l’endroit convoité et choisi par rapport à la végétation buissonnante un jeune chêne d’une trentaine d’année qui me laisse de belles fenêtres. Je sais que les minutes défilent, et bien qu’il ne faille pas céder à la panique, je connais maintenant l’arbre choisi et je dois m’activer. Avant de monter, j’anticipe en ébranchant quelques houx à l’aide du sécateur. Arrivé en haut, je me sécurise et vérifie mes fenêtres. Cela me semble bon, je peux donc remonter mon arc à l’aide de la cordelette.

Je suis prêt, je n’ai plus qu’à observer la vie de ce biotope.

Après une vingtaine de minutes, le cœur s’emballe. Je vois en contre bas, à ma droite deux chevreuils se situant dans la fameuse coulée verte et évoluant tout doucement vers moi. Restons zen, il faut se calmer. Ils empruntent alors la coulée à remonter vers le bois dans lequel je suis, cette même coulée que je surveille principalement. L’échéance semble approcher mais à ce moment là, je me suis même demandé si je n’allais pas claquer avant d’avoir une éventuelle opportunité. Je reprends mes esprits et ma lucidité. Mon bras gauche se situe déjà en direction de la coulée. J’observe ces animaux et je distingue deux chevrettes de même taille distantes de près de 5 m l’une de l’autre. Je me concentre sur la première chevrette. Elle continue d’avancer pas après pas, j’arme l’arc, puis la chevrette s’arrête plein profil juste au ras de ma première fenêtre. Sa tête et son cou dépassent mais j’attends que les parties vitales apparaissent. J’espère alors un ou deux pas de plus ce qu’elle fit aussitôt, je pointe, je stabilise, je décoche. L’encoche lumineuse m’indique un passage de la flèche plutôt au niveau de la cote flottante. L’animal part en trombe puis je crois percevoir un bruit sur ma gauche dans le massif, puis plus rien. D’un autre côté, l’autre chevrette est partie à l’opposé puis s’est arrêté dans le couloir le temps d’analyser la situation. Après une dizaine de secondes, elle s’éloigne au petit trop.
Je me retrouve seul et me refaits le film. J’ai pourtant fléché à près de 16 m cette chevrette de plein profil, arrêtée. Je m’entraine et réussi dans ces conditions. Pourquoi ma flèche n’est-elle pas passée exactement où je l’avais placée ? Je suis déçu de ce résultat et j’imagine déjà le pire : une nuit blanche, une recherche en vain le lendemain, un animal qui va mourir de fatigue et une culpabilité qui va me ronger au moins jusqu’à la fin de la saison. Puis de nombreuses questions me viennent. Ai-je bien vu le passage de la flèche ?...Bref, le temps passe, il faut que je reprenne le contrôle de ma conscience et aller de l’avant.
Tu t’es vu quand t’as fléché !

Je préviens les copains de cet évènement et indique que je descendrais de mon arbre dans une demi-heure par mesure de sécurité pour ne pas provoquer le départ de l’animal atteint (mais ça ils connaissent la procédure). Ils me répondent qu’ils rentrent et qu’ils m’attendent à la voiture. Dix minutes plus tard, ce sont trois chevreuils qui passent à toute allure sous le tree-stand. Ils s’arrêtent puis repartent dans l’autre sens. Ces animaux ont certainement été perturbés par le passage de mes collègues. J’attends encore près de 25 minutes et décide de descendre. Au sol, je range d’abord mes affaires et laisse mon matériel sur la grande coulée verte. Je me rends à l’anschluss et retrouve la flèche encore éclairée. Le fût est trempé d’un rouge clair, mais pas de bulles ni d’odeur stomacal. D’après cette première observation, je ne sais pas trop quoi penser. J’éteins alors l’encoche et pose la flèche à 30 cm, le long de l’arbre légèrement penché côté dos.

Avec la frontale, j’ai beau scruter le sol, aucune trace. Avant de m’éloigner, je laisse une marque de papier hygiénique blanc puis commence à faire des concentriques en direction de la fuite de l’animal fléché. Forcé de constater que rien, je n’aperçois aucune goutte de sang sur les 30 m aux environs. Je me rends alors à l’évidence que je ne peux à moi seul résoudre sérieusement à cette recherche. J’arrête alors ce balayage lumineux, je récupère mon matériel et pars en direction de la voiture. Forcément dans une situation comme celle-ci, où je me retrouve seul, je me refaits le film et je cherche de réponses qu’il n’y a pas à trouver. Je le sais, je vais devoir appeler le chien de sang, façon de parler : son maitre bien-entendu. J’aperçois la voiture et je sais que je vais devoir apporter des éclaircicements. Les deux compères sont adossés à la voiture, ils me regardent arriver puis comme si j’étais sorti d’un examen me demandent : « ba, alors ? ». Je leur explique la scène et le résultat de mes premières observations. Comme moi, ils sont un peu dubitatifs et pensent que seul le chien de sang pourra dénouer cette affaire. J’appelle aussitôt notre conducteur de chien de sang et ami Vincent. Il m’informe qu’il est disponible pour le lendemain et nous nous donnons rendez-vous à 9H00 chez Jacques. Ce dernier est à son tour informé de la situation et semble rassuré qu’une recherche soit d’ores et déjà prévue pour le lendemain matin.
Nous reprenons les discussions avec les deux amis. J’apprends alors que Dany a encore eu une belle observation sans pouvoir décocher. Nous quittons les lieux avec le remord d’un travail inachevé.
J’arrive chez moi, et je me retrouve seul avec ma conscience. Il n’y a rien à changer, ça c’est passé de cette façon et rien n’y changera. Il faut juste être patient, le temps d’une nuit et éviter d’y penser.
Le lendemain, je suis d’attaque et j’ai hâte de passer à la recherche. Je prends au cas où le fusil et du gros plomb. Chez jacques, je retrouve Vincent qui est accompagné de son frère Philippe. Doli (la teckel à poils durs) est là ainsi que le nouvel et jeune recru : Jocker (un labrador noir).
Parfait, l’équipe étant au complet, nous n’avons plus qu’à nous rendre sur site où nous retrouvons Eric qui était disponible pour accompagner cette recherche.
Nous confions à Eric le rôle de guetteur. Placé au niveau d’un des resserrements du bois, il peut remarquer le passage d’éventuels animaux. Puis nous trois, nous partons en direction de la coulée verte. Je réexplique la scène et décrits le biotope de façon à éviter le bavardage une fois sur site. A l’entrée de la coulée, c’est Jocker que Vincent prend à la longe. Philippe et Doli restent en retrait de façon à intervenir si la quête était infructueuse. L’anschluss est donc reniflé par Jocker. On reconnait là le style d’un jeune chien vif un peu impatient de toucher au but. Le chien commence rapidement par faire des concentriques puis se met à faire des va et vient avec la lisière de houx. Son évolution est très rapide. A peine 2 minutes après son départ, le labrador prend une voie qui traverse les houx. Sur cette piste, aucune trace de sang et pourtant le chien semble savoir ce qui le mène. Vincent retient l’allure de Jocker même s’il ne veut pas le freiner dans son élan. Le chien a à peine fait 70 m qu’il s’arrête sur une odeur plus marquée derrière des fragonettes. Vincent à ses trousses au bout de la longe s’exclame : « c’est bon, il est là ! ». Moi qui suivais la recherche en retrait de 15 m, je rejoins aussitôt Vincent et je constate alors la chevrette allongée sur son flanc droit. Quel soulagement de retrouver cet animal. Vu la distance parcouru, la rigidité du corps et le poil mouillé, la mort a du être rapide. L’impact se situe bien au niveau de la cote flottante, c’est donc certainement le foie qui a été atteint. Vincent avertit son frère qu’il peut venir accompagner de Doli. A mon tour, je préviens Eric, puis nous nous retrouvons autour de cet animal.

Je suis contant et soulagé et je pense que ça se voit ! Les chiens présents à côté de la victime frétillent de satisfaction. Les conducteurs félicitent à leurs tours leurs fidèles compagnons, bref, nous nous réjouissons tous de ce résultat. Nous en profitons pour faire quelques photos dans ce dénouement plaisant.

Sur la photo Jocker et Vincent.
Un grand merci à Jocker et Vincent ainsi que Philippe, Eric et Doli d’avoir été présents dans ce moment délicat. Ce type de situation reste une épreuve sur le plan humain, et c’est tellement mieux d’être accompagné par des spécialistes. Merci aux conducteurs de chine de sang de la Vendée de répondre présent.
Guillaume