La biche des Pyrénées.
C’est suite à un concours de circonstance que je rencontre pour la première fois Alexandre.
Des amis travaillants sur la base aérospatiale de Kourou qui connaissaient mes activités de chasse à l’arc, ont dans une conversation évoqués mon nom à Xavier lui-même chasseur archer local. De fil en aiguille et à distance nous avons communiqués et pris acte d’une petite expédition dans la forêt d’émeraude. Par chance, je ne pars pas seul et c’est ainsi que je fais connaissance avec Alex, dans l’aéroport en partance pour l’autre bout de la planète. Si ce n’est l’arc, peu de points en commun entre nous dans l’activité chasse, puisqu’Alex ne pratique que l’approche alors que j’ai une préférence pour les postes perchés. Mais la passion et l’éthique est la même. Ce séjour c’est donc magnifiquement passé. Toujours en contact nous nous revoyons sur quelques chasses. Des invitations en battues ou à le suivre sur ses terres à la recherche du capréolus ou du sus crofa avec toujours des techniques de chasses surprenantes à découvrir. Faire venir les animaux à nos pieds ou courir entre les vignes pour une interception rapide. C’est donc tout naturellement qu’il me propose une sortie dans les Pyrénées pour m’attaquer aux grandes pattes. La première année ne m’a pas permis de conclure malgré toutes ses connaissances du territoire.
La période n’était pas forcément propice et les biches sont restées discrètes. En trouver une non suitée n’a pas été possible et les nombreux contacts avec daguets et autres cerfs plus coiffés ne m’étaient pas autorisés. De très belles sensations quand, perché dans mon saddle ou trois différents animaux sont venus se coucher sous mes pieds. Dommage…
Qu’à cela ne tienne, « I’ll be Back »
Cette année, c’est un peu plus tard dans la saison qu’Alex me donne rendez-vous. Un peu d’exotisme pour cette semaine de février puisque la neige et des conditions sibériennes sont annoncées. Mon guide me fera l’honneur de m’accompagner sur un nouveau territoire jusqu’au prélèvement ou au retour à la maison puisque pour lui, ses bagues sont déjà clôturées. Arrivé le dimanche en fin de journée après 500 kilomètres, je décharge rapidement le camion et demande à effectuer quelques tirs de confirmations. Pas d’incident sur la route mais j’aime bien lâcher quelques tubes.
Le lendemain, c’est un départ aux aurores pour cette première journée. La situation sur zone nous oblige à vétir la tenue blanche. A ma grande surprise ce camouflage laisse les animaux sans réactions malgré leur vues perçantes. La neige juste tombée permet une progression discrète et nous avons plusieurs contacts mais sans conclure. Observant au plus loin pour prendre l’avantage sur les animaux je me fais surprendre par une petite harde qui se trouve là, coucher dans la végétation à 25 mètres. Alex qui lui les as vues est dépité.
Bon, il s’agit là d’une mise en jambe.
Le lendemain la neige souple a fait place à une couche de glace extrêmement bruyante avec une température de -7°C. Décontenancé, Alex me rassure. « Il n’y a rien de grave, les animaux eux aussi sont bruyants et il suffit d’adapter sa progression ». En début d’après-midi une bichette se dérobe au-dessus d’un chemin. Mon guide m’annonce 36 mètres, je me suis entrainé longuement pour ce type de tir. Je me décale légèrement sur ma gauche pour laisser voler sans encombre le tube au milieu de la végétation jusqu’à sa cible. Je ne prends pas le temps d’afficher la distance sur mon viseur mais je sais où je dois poser mon pin’s pour compenser la trajectoire. Le claquement caractéristique retentie dans la montagne, la bichette bondie traverse les buis et ce sont deux animaux que nous voyons apparaitre quelques mètres plus haut à nous observer. Pensant que la harde était composée de trois animaux je ne lève pas les jumelles pour observer ces deux bichettes. Peu enclin à des félicitations précoces, Alex me congratule pour cette belle flèche. A vrai dire je n'ai pas pu suivre son vol. les deux bichettes poursuivent leur chemin nous laissant la place pour aller vérifier l’anschuss. Pas de tube et très peu de sang. La joie s’estompe rapidement car les indices ne sont vraiment pas bons. Nous ferons une recherche sur plus de 800 mètres aux seuls pieds de l’animal touché avec une petite goutte de sang çà et là. La nuit tombe et nous décidons d’interrompre la recherche. Sans doute possible, la belle flèche s’est transformée en blessure en séton. Un petit morceau de gras trouvé confirme cette option. Difficile de savoir ce qui s’est réellement passé.
Le lendemain après une nuit difficile pour moi, nous décidons de reprendre la recherche. A 10 mètres et à 90° de l’anschuss, je retrouve la flèche dans les buis sans aucun indice. Nous perdons la piste en ayant parcouru quelques centaines de mètres supplémentaire par rapport à la veille. La température est toujours bien négative ce que mon repose flèche n’apprécie pas du tout. Il ne tient plus en position haute. Les progressions se font en maintenant le tube aux doigts. Une nouvelle billebaude sur une piste à flanc de pente nous donne un avantage sur les animaux qui se trouvent en contre-bas. Une harde nous décèle quand même et prend la fuite. Plus loin nous repérons le faon esseulé que nous avions déjà observé la veille. Le long de la paroi, j’avance seul à distance et doucement. L’animal et calme et ne nous a pas vus. Mes pieds se placent délicatement sur les plaques de verglas pour me rapprocher du vide devant moi. Je dois faire passer le tube entre le grillage de la clôture ce qui m’oblige à me mettre à découvert. Le faon a la tête derrière une pierre, j’arme, visualise la trajectoire de la flèche et décoche. Un claquement, le faon relève la tête et cherche l’origine de ce bruit puis prend la fuite. J’avance sur la piste pour essayer de suivre sont déplacement et entend derrière moi un « hurlement ». Je me retourne et vois Alex gesticuler. Je jette un œil en contrebas et effectivement je vois partir deux autres animaux que je n’avais pas vu. Cette fois la voie me parvient distinctement « M…e, ils étaient à 15 mètres, c’était une occasion en or….. » et je lis dans les yeux de mon guide tout le désespoir d’une cause perdue.
« Qu’est-ce que tu as foutu avec ce faon ??? »
Je regarde mon arc et comprends tout de suite ce qui s’est passé. La fourchette du RF qui ne voulait pas rester en l’air a finalement gardé sa position haute. Les vannes l’ont percutées au passage donnant un vol erratique à ma flèche. La nature la gardera en souvenir. J’actionnerai le poussoir le reste de la matinée dans l’espoir d’un retour à la normal. Nous levons des animaux sur le spot ou nous avions décidés de nous arrêter pour déjeuner. Callé derrière un tronc nous profitons d’un rayon de soleil pour nous détendre un peu.
Le réveil musculaire est rude car nous remontons directement la pente pour retrouver la harde. Je progresse en tête et après un glacis, je repère deux faons couchés au pied d’un arbre. Je progresse lentement et arrive au plus prêt à 50 mètres bloqué par les ronciers et la glace. Je demande à Alex de me rejoindre pour établir une stratégie. En arrivant je lui montre la situation. Deux autres animaux se sont dévoilés en contre bas. Que faire ? Attendre que la harde avance sur nous ?
Je dis à Alex que je tente l’approche en revenant sur nos pas et en contournant par le haut. Il restera là à observer.
Je tombe mon sac et rebrousse chemin pour rattraper une petite piste. Plus loin, un gros arbre a laissé sous sa frondaison une zone dépourvue de neige ce qui me permet de gagner encore quelques mètres plus discrètement. Toujours trop loin, je descends la pente sur les genoux tout en observant le faon qui rumine sur le bord du roncier. Sortie du bois, une biche approche la harde et chasse un daguet puis vient pousser le faon pour prendre sa place. J’arrive maintenant le long d’un roncier qui m’empêche de diminuer davantage la distance qui nous sépare. Elle s’alimente du ligneux et se trouve plein profile. J’encoche une flèche équipée d’une bilame German Kinétic. Je me décale sur la gauche encore de quelques centimètres pour laisser un vol dégagé à ma flèche. Le tronc en équilibre sur son voisin à une dizaine de pas ne me masque plus. Je sors lentement mes jumelles pour prendre les derniers renseignements. Position et distance. C’est bien l’animal de chasse, la biche est à 34 mètres en contre-bas. Encore un tir difficile. J’affiche 32 sur mon viseur, respire profondément et fait le vide. J’arme doucement et viens placer le pin’s sur la pointe du coude. Le tube est parti et je vois derrière la biche des éclaboussures vertes sur la neige. Je me remémore la scène et suis sûr de l’entrée de la lame. Alex qui était placé à mes 3 heures a observé toute la chasse, m’annonce qu’il a suivi du regard la fuite de la biche. A l’anschuss le tube est ensanglanté mais le blanc de la neige et crépis de contenu stomacal.
Les trente minutes d’attente sont longues. Le début de la recherche s’effectue plus en suivant les pas que les indices. Alex me signale un animal devant nous. Comme une carte postale, une biche est plein travers mais le temps de sortir le télémètre elle plonge dans le bois. Les quarante mètres m’aurai permis de doubler mais il me fallait confirmer qu’il s’agissait bien du même animal. Une tâche plus sombre était visible devant le postérieur droit, ce qui ferait une sortie bien écartée de l’entrée pour un tir de profile. Nous poursuivrons la piste sur 800 mètres en trouvant trois reposées. La nuit nous arrête. Nous faisons appel à un conducteur de chien et le rendez-vous est donné le lendemain 08H30.
Le retour chez Alex se fait dans un silence de cathédrale, ponctué de réflexions sur les flashbacks de se tir. Mais que s’est-il passé ?
Mon pourcentage d’échec est vraiment minime mais là, deux animaux blessés. Je suis anéanti. Alex est plus confiant que moi et me rassure. D’expérience, il sait que cet animal sera retrouvé mort.
Pour ne rien vous cacher, la nuit fut particulièrement courte.
Jeudi, nous arrivons sur le parking et Daniel est sur place. Nous profitons de son véhicule tout terrain pour avancer plus haut sur la piste jusqu’à la barrière.
Nous allons débuter la piste avec la rouge de Hanovre sur une des dernière couche.
Malheureusement, sur cette recherche, la chienne ne nous sera d’aucune utilité. Aucune prise de voie. Nous poursuivrons donc la recherche comme la veille en suivant les pieds maintenant glacés par la nuit et sans plus d’indices. Alex descend sur une voie alors que je remonte la pente sur une autre. A quelques centaines de mètres, je retrouve deux couches amarante. Je suis rassuré d’avoir retrouvé la bonne piste. J’appelle alors mes deux comparses. En attendant Daniel proche de la couche pour remettre la chienne dessus, Alex part un peu en avance. Quelques mètres plus loin sa voix résonne dans la montagne d’un
« Elle est là ta biche ».
Un Oufff de soulagement d’avoir enfin retrouver cet animal. Sa position indique qu’elle est partie dans son sommeil. Pose de la bague, et enfin des congratulations justifiées suivi de quelques clichés pour immortaliser cette fin de chasse. La pression retombe doucement. C’est mon premier cervidé et sa quête n’a pas été aisée.
Mais une nouvelle aventure nous attend car il nous faut maintenant ramener l’animal au véhicule. Heureusement, il n’y a que de la descente mais entre les buis et les chablis ennneigés ce n’est pas une partie de plaisir. Nous parvenons enfin sur la piste puis sur le parking. Nous remercions Daniel et sa chienne d’avoir fait le déplacement. La biche est vidée et pelée dans le local de l’ACCA. L’analyse de la carcasse indique bien une entrée au-dessus du coude pour atteindre le poumon mais il semble que la côte a fait dévier la flèche pour sortir devant le cuissot opposé en prenant la panse. Quelle résistance. Elle a parcouru plus de 1000 mètres avec un demi poumon posé dans la cage thoracique. Elle repose maintenant au frais le temps de prendre un bon repas dans le resto du village avec une garbure bien chaude pour récupérer des forces.
Le jeudi est consacré à la préparation de la venaison et des valises pour un retour le lendemain dans les plaines Vendéennes. Alex quant à lui, peut enfin reprendre ses approches le vendredi sans boulet au pied, pour une invitation sur un autre territoire.
Encore un énorme merci à lui pour son accueil, la connaissance de son territoire et sa patience. Un séjour qui restera gravé dans nos mémoires.
A la saison prochaine….
